En France, la Cour de justice de la République (CJR) a décidé ce mardi de juger l’ancien Premier ministre Édouard Balladur et son ex-ministre de la Défense, François Léotard dans le volet financier de l’affaire Karachi. Les deux hommes sont renvoyés pour « complicités d’abus de biens sociaux » dans cette affaire de possible financement occulte de la campagne présidentielle de 1995, via des rétrocommissions.
Un quart de siècle après les faits, Édouard Balladur, 90 ans, et François Léotard, 77 ans, sont à leur tour rattrapés par la tentaculaire affaire Karachi, ce mardi 1er octobre. Une affaire qui trouve son origine dans les contrats d’armement français et les besoins de financement d’une campagne présidentielle. Celle de 1995 opposant Édouard Balladur et son frère ennemi Jacques Chirac.
Il est reproché à François Léotard, d’avoir mis en place un circuit opaque au cœur des contrats d’armements avec le Pakistan, pour la vente de trois sous-marins, et l’Arabie saoudite pour la vente de frégates. Le ministre de la Défense du gouvernement Balladur aurait donné des instructions pour que ces contrats puissent être déficitaires. Déficitaires en raison notamment de commissions douteuses. Des frais commerciaux exceptionnels, écrit le ministère public. François Léotard, indique encore le parquet, aurait mis en place un circuit opaque par lequel aurait transité les commissions et permis le dépôt d’espèces sur le compte de campagne du candidat Balladur à la présidentielle de 1995.
Édouard Balladur, lui, sera jugé pour le recel de ces abus : près de 2 millions d’euros susceptibles de provenir de ces rétrocommissions auraient donc alimenté ses comptes de campagne. Plutôt de l’argent provenant de la vente aux militants de produits dérivés, comme des T-shirts, des briquets s’est toujours défendu le candidat malheureux à l’Élysée.
Édouard Balladur, entendu à cinq reprises, plus de 20 ans après les faits, a parfois semblé se défausser sur ses collaborateurs déclarant « je demandais que la loi soit respectée, mais je n’avais pas les moyens de tout contrôler ». Les détails ce n’était pas son affaire, a-t-il toujours plaidé.
Commissions occultes et sous-marins
La tentaculaire affaire Karachi, fut révélée après l’attentat de 2002 au Pakistan contre des ouvriers des chantiers navals français, qui construisait trois sous-marins vendus par la France. Des sous-marins d’attaque de classe Agosta à propulsion classique. Le 8 mai 2002, l’attentat à Karachi avait fait 15 morts, dont onze techniciens français. Toujours en cours, l’enquête antiterroriste avait initialement privilégié la piste d’al-Qaïda. Mais ces dernières années elle a surtout exploré la thèse de représailles. Les magistrats instructeurs n’ont jamais pu le démontrer, mais ils estiment probable qu’il s’agisse d’une réaction à l’arrêt du versement de commissions au Pakistan.
Une décision qui aurait pu être prise par Jacques Chirac tombeur d’Édouard Balladur à la présidentielle de 1995. Dans cette lutte fratricide au sein de la droite française, il aurait été décidé de couper le robinet financier qui alimentait les Balladuriens.
Un important réseau d’intermédiaires
En juin 2014, les juges Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire ont ordonné le renvoi en correctionnelle des principaux protagonistes. De nombreuses péripéties judiciaires plus tard, six prévenus sont finalement convoqués le 7 octobre 2019 prochain devant le Tribunal correctionnel de Paris afin d’être jugés pour « abus de biens sociaux » et « recel ».
Trois sont issus du monde politique : Nicolas Bazire, ex-directeur de campagne d’Édouard Balladur, Renaud Donnedieu de Vabres, ex-conseiller du ministre de la Défense François Léotard et Thierry Gaubert, alors membre du cabinet du ministre du Budget Nicolas Sarkozy.
Les trois derniers viennent du monde des affaires : Dominique Castellan, ancien patron de la branche internationale de l’ex Direction des chantiers navals (DCN), devenue depuis Naval Group. Figure aussi le sulfureux homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine et enfin l’intermédiaire espagnol d’origine libanaise Abdul Rahman el-Assir. Ziad Takieddine et Abdul Rahman el-Assir auraient été imposés tardivement dans les contrats d’armement, avec pour possible mission de financer la campagne balladurienne.
Dans cette enquête, les cas d’Édouard Balladur et François Léotard ont été disjoints. Leur cas relève de la Cour de justice de la République, seule instance habilitée à juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions.