Dans la décision qui a été lue par le juge Chile Eboe-Osuji ce mercredi 31 mars, la chambre d’appel de la Cour pénale internationale indique qu’elle rejette l’appel du procureur et confirme la décision de première instance. En janvier 2019, l’ancien président ivoirien et l’ex-chef des Jeunes patriotes avaient été acquittés.
Les deux pouces en l’air, en signe de joie et de victoire : ce fut la réaction de Laurent Gbagbo à l’énoncé du jugement de la chambre d’appel de la Cour pénale internationale ce mercredi.
Son président a rendu son arrêt après plus d’une heure et demie passée à démonter, un à un, les arguments du bureau du procureur. Et finalement, vers 16h30, il conclut « que la chambre rejette l’appel [de l’accusation] et confirme la décision prise en première instance » : Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont donc définitivement acquittés.
La chambre d’appel a révoqué aussi les conditions à leur remise en liberté et demandé au greffier d’organiser leur transfèrement vers un ou des États de leur choix. En clair, les deux hommes sont innocentés, libres et peuvent rentrer, s’ils le désirent, en Côte d’Ivoire.
La chambre d’appel estime, à la majorité, que le procureur n’a pas réussi à démontrer que la chambre préliminaire avait fait des erreurs de droit ou des erreurs de procédure…
Chile Eboe-Osuji, président la chambre d’appel de la CPI
Cette décision, en revanche, est un revers pour la procureure Fatou Bensouda qui échoue dans ce cas emblématique à deux mois et demi de la fin de son mandat.
« Le président Gbagbo triomphe »
Sur le parvis de la CPI, à l’annonce de la décision, les quelques dizaines de partisans venus soutenir Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont laissé exploser leur joie.
Nous sommes dans l’extase, dans la joie ! C’est le résultat de la lutte que nous avons menée depuis plus de dix ans. C’est le triomphe de la vérité et de la justice !
Immédiatement après ces annonces devant la CPI, les partisans de l’ex-chef d’Etat et de son ministre de la Jeunesse ont explosé de joie
Du côté de la défense des deux hommes, c’est évidemment la satisfaction qui domine. « Dix ans, presque jour pour jour, après les événements que vous connaissez [la crise post-électorale de 2010-2011, ndlr], le président Gbagbo triomphe, réagit au micro de RFI Emmanuel Altit, l’avocat principal de l’ancien chef d’État ivoirien. C’est la victoire de la justice. C’est aussi la victoire d’un homme, injustement accusé, et dont l’innocence a été pleinement reconnue. La Cour a dit le droit, elle a décidé que la procédure initiée par le procureur était terminée, faute de combattants en quelque sorte. Chacun retourne chez soi. Théoriquement, [Laurent Gbagbo] peut rentrer chez lui. »
Mais l’ancien président va-t-il le faire ? « Je ne peux pas parler à sa place, répond son conseil. Mais il n’y a strictement aucune raison qui l’empêche de revenir en Côte d’Ivoire. »
« On y est arrivé », lance Charles Blé Goudé
Après son acquittement cet après-midi, Charles Blé Goudé s’est brièvement exprimé à sa sortie de la CPI avant de rejoindre ses partisans. Heureux, il espère rentrer prochainement en Côte d’Ivoire, mais n’a toujours pas de passeport. Cette question doit maintenant être abordée avec ses avocats et les autorités ivoiriennes.
« Je suis acquitté, définitivement. Et je remercie toutes les personnes en Côte d’Ivoire et en Afrique pour leur soutien, a-t-il déclaré à RFI. En ce qui concerne mon retour, je vais en parler à ma famille et à mes avocats et dans les jours qui viennent, je pourrai répondre. Mais la chambre d’appel a été claire, les conditions pour nos déplacements sont levées, et on est heureux de l’entendre. Ça a été long, très long, mais c’est la vie. Nous avons dû traverser cette épreuve en hommes. Oui, nous venons de loin, mais on y est arrivé. »
La majorité de la chambre d’appel a confirmé la décision de l’acquittement. Il y a deux juges qui ont une opinion dissidente. Ils auraient décidé autrement et auraient renvoyé l’affaire devant une autre chambre de première instance pour le procès, mais quand il n’y a pas d’approche unanime, les décisions sont prises à la majorité.
En revanche, les victimes de la crise, représentées par Paolina Massida, espéraient un tout autre dénouement. « J’ai eu au téléphone quelques-unes des victimes que je représente, qui ont simplement dit qu’elles étaient très déçues de la façon avec laquelle cette procédure s’était déroulée notamment. C’est un peu cumuler la déception du résultat avec la longueur de la procédure. »
Réaction similaire du côté de l’ONG Human Rights Watch, qui prend acte de la décision de ce jour. Mais « cela ne veut pas dire que, durant la crise post-électorale, il n’y a pas eu de crimes affreux commis, rétorque Jim Wormington, chercheur spécialiste de l’Afrique pour l’organisme de défense des droits de l’homme. Trois mille personnes au mois tuées, les violences sexuelles, les personnes brûlées vives dans la rue… Et les camps Gbagbo et Ouattara en sont responsables. Laurent Gbagbo était à cette époque président de la Côte d’Ivoire – au moins avant les élections – il était aussi le commandant des forces de défense et de sécurité, qui étaient les auteurs d’une grande partie de ces crimes. Donc, il a sa part de responsabilité. »
« Il a été acquitté, mais je ne crois pas que ça change ce qui s’est passé en 2010-2011 », conclut le chercheur.
Source : rfi.fr