Depuis deux saisons, les projecteurs sont braqués sur l’attaquant sénégalais de Liverpool. Quatrième au classement du Ballon d’or 2019, le joueur a réalisé une année exceptionnelle, en remportant notamment la Ligue des champions et, ce samedi, le Mondial des clubs. Mais pour en arriver là, Sadio Mané a dû emprunter des chemins sinueux pour convaincre son entourage qu’il pouvait accomplir son rêve.
De la
lumière, mais pas trop. Sadio Mané est ce héros masqué qui file dans
l’obscurité après avoir sauvé son monde. Meilleur joueur offensif des Reds
pendant toute la campagne de la dernière Ligue des champions, fer de lance de
l’équipe qui est en train de marcher sur la Premier League, il va terminer son
année 2019 avec 34 buts au compteur toutes compétitions confondues. Peut-être
même un peu plus, sachant que Liverpool doit encore disputer deux matchs de
championnat, ce jeudi face à Leicester, puis dimanche contre Wolverhampton.
Une année au cours de laquelle Mané aura donc remporté la Ligue des champions,
la Supercoupe d’Europe, le Mondial des clubs, terminé vice-champion
d’Angleterre, vice-champion d’Afrique et co-meilleur buteur de Premier League.
Un CV qui, apparemment, ne suffit pas à remporter le Ballon d’or, les votants
lui ayant préféré Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, et son coéquipier Virgil van
Dijk. Quand les deux premiers cités ont su faire de victoires collectives des
faits d’armes personnels, Sadio Mané a, lui, encore du mal à être dissocié de
l’incroyable trio qu’il forme avec Roberto Firmino et Mohamed Salah. Peu
importe, après tout : sa réussite saute aujourd’hui aux yeux de tous.
« Quitter l’ombre de l’arbre à palabres »
Avant d’être considéré comme un « cadeau de Dieu » au Sénégal, Sadio Mané a dû
faire tomber des barrières, avec le consentement ou non de son entourage. Ce
chemin a commencé commencé à quelque 4500 kilomètres d’Anfield, à Bambali,
localité posée sur les rives du fleuve Casamance. Là-bas, dans des territoires
où musulmans et chrétiens cohabitent, ce fils d’imam a dû sans cesse pousser sa
famille à croire en ses rêves de footballeur. « Je suis né dans un village où
il n’y a jamais eu de footballeur ayant participé aux grands championnats,
expliquait-il au Bleacher Report. Quand j’étais petit, mes parents pensaient
que je devais étudier pour devenir professeur. »
Comment ne pas comprendre ces parents dubitatifs et aux moyens modestes : leur
village est à plusieurs heures de Dakar, là où tout se passe, et difficile de s’imaginer
que le petit Sadio, qui esquinte ses pieds nus dans la boue et la poussière
pour taper dans la balle, puisse avoir un jour sa chance. Le football est alors
vu comme une perte de temps par le clan familial, d’autant plus après la mort
du paternel. Sadio a alors onze ans. « Ma mère me chassait à chaque fois
qu’elle me voyait jouer au foot. Je devais quitter l’ombre de l’arbre à
palabres* pour me retrouver en plein soleil, raconte-t-il à France Football,
encore marqué par les coups qu’il pouvait recevoir. C’était dur pour moi, car
je me sentais un peu seul. Je ne comprenais pas pourquoi on ne m’autorisait pas
à vivre mon rêve. » Désinvolte et croyant dur comme fer à ce rêve, le garçon
sèche les cours, tente d’éviter les récoltes de mil avec son oncle, jusqu’au
jour où il décide de prendre son destin en main.
Bonne
conduite et prise de conscience
Adolescent, il prend son baluchon et met le cap sur Dakar, la capitale. « J’ai
tout préparé minutieusement, en sachant que je n’avais pas du tout d’argent. La
veille, j’ai caché dans les herbes hautes, devant la maison, mon sac de sport
avec des affaires pour ne pas me faire surprendre en partant. Et tôt le
lendemain matin, vers 6h, j’ai filé sans prévenir personne, sauf mon meilleur
ami. » Ce dernier, sous pression, finira par vendre la mèche, la famille étant
trop inquiète. Mais Sadio était déjà bien loin et cherchait déjà à intégrer les
équipes de Dakar. Retour donc à la case départ, mais un deal est passé avec sa
mère : ok pour jouer au foot, à condition de continuer ses études et de rester
un bon musulman. S’il s’arrêtera à la classe de troisième, il ne manquera plus
jamais une des cinq prières de la journée.
Et comme une récompense pour sa nouvelle bonne conduite et la prise de
conscience que le travail finit toujours par payer, il se fait remarquer sur un
terrain de M’bour. « Il y avait deux ou trois cents jeunes qui attendaient en
file pour tenter leur chance. Ça partait mal pour moi, car quand je me suis
présenté, on m’a un peu ri au nez, se rappelle-t-il, toujours pour France
Football. Je ne ressemblais pas trop à un footballeur. J’avais une culotte qui
ne ressemblait en rien à un short de foot, et mes chaussures de foot étaient
toutes déchirées sur le côté et réparées comme j’avais pu avec du fil. […]
Comme je n’étais pas trop mal, j’ai été pris. C’était le début de mon aventure.
»
Self-made Mané
C’est donc ainsi que Sadio Mané arrive dans le giron de Génération Foot,
académie fondée par Mady Touré et liée au FC Metz. Comme Babacar Gueye, Papiss
Cissé ou Diafra Sakho, il ne mettra pas longtemps à éblouir les responsables du
club à la Croix de Lorraine.
« On nous signalait les bons joueurs, et Sadio avait un talent exceptionnel, se
souvient Olivier Perrin, alors responsable du partenariat franco-sénégalais. Il
pouvait prendre le ballon dans ses 18 mètres, éliminer tous ses adversaires
pour amener le ballon jusque dans l’autre surface pour donner une passe
décisive ou marquer. C’était fou. » Voilà son ticket pour l’Europe. Metz est
alors en Ligue 2, mais c’est là-bas qu’il découvre à 18 ans le
professionnalisme, non sans difficulté. « Il est arrivé en décembre et il
faisait vraiment froid, témoigne Bouna Sarr, lui aussi considéré comme un des
espoirs lorrains de l’époque. Le choc thermique pour quelqu’un qui vient du
Sénégal, ce n’est pas facile. » Ses premiers mois, il les passe avec l’équipe
réserve, mais voit son intégration interrompue par des pépins physiques, qu’il
a un temps essayé de dissimuler. « Arrivé à Metz, il s’est blessé au début de
l’hiver, une pubalgie, resitue Olivier Perrin. Ça a rendu sa progression un peu
plus compliquée, mais cela reste quelque chose de positif, car il a tenu à
revenir encore plus fort après ça. »
Logé à l’internat, quand il évite les réprimandes de Madame Brech, qui veille
sur les pensionnaires « comme une maman » , le jeune Sadio s’impose du travail
supplémentaire en allant courir seul, dès l’aube. « Quand je me réveillais tôt
pour courir, je me cachais pour sortir discrètement, raconte-t-il à Onze
Mondial. Je savais que si Madame Brech me voyait, elle allait me dire :
« Retourne au lit. » Moi, je ne voulais pas dormir, je voulais bosser
encore plus. » Cette soif de réussite portera ses fruits. Joël Muller,
directeur sportif de l’époque, se souvient très bien de ses premières
impressions : « J’étais allé voir un match de la réserve où il n’était pas
titulaire. J’étais surpris de voir ce garçon-là sur le banc. Je suis allé voir
José Pinot (le coach de l’équipe B, N.D.L.R.), et les semaines suivantes, il a
été intégré. Il lui a fallu 3-4 matchs pour que tout le monde soit convaincu.
Ceux qui arrivent de Dakar, d’habitude, ils ont besoin d’une ou deux saisons
pour s’adapter, mais Sadio, ça a été différent. Immédiatement, il a été un
renfort important. »
Mais malgré sa demi-saison en Ligue 2 aux côtés de Kalidou Koulibaly et Andy
Delort, le FC Metz est relégué en National pour la première fois de son
histoire. « Je pense que cette expérience à Metz reste une expérience
favorable, dans un contexte défavorable, assure le coach messin Dominique
Bijotat, qui préfère voir le verre à moitié plein. Formé ailleurs, peut-être
qu’il aurait dû attendre un petit peu plus longtemps pour s’exprimer au haut
niveau. Il a aussi pu développer des qualités psychologiques qu’il n’aurait
peut-être pas eues s’il n’avait jamais joué le maintien dans sa vie. »
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