Mali : Transition politique, hâtons-nous doucement

​Les évènements du mardi 18 août 2020 ont précipité le Mali dans une autre dimension politique avec des inconnus, des satisfactions, des frustrations et des défis. La complexité de la situation politique n’atteindra certainement pas la motivation et la détermination des acteurs avec des ambitions diverses à soutenir le pays pour le sortir de l’ornière. Dans ce sens, les propositions et les approches seront nombreuses et multiples en conformité avec les logiques fonctionnelles de chaque acteur (partis politiques, société civile, militaires et partenaires du Mali) pour donner un cadre et un agenda qui aideront le pays à se redresser.

Si pour la CEDEAO et d’autres partenaires du Mali, la priorité est le retour à une normalité constitutionnelle en réintégrant le Président déchu dans ses fonctions. Pour les militaires, soutenus par une frange importante des citoyens, des représentants de la classe politique et de la société civile, il serait important d’ouvrir de nouvelles perspectives à travers une transition politique avant de remettre le pouvoir à des représentants élus. Infailliblement, le Mali se dirige vers une nouvelle transition politique dès lors que la démission du Président de la République, la dissolution de l’assemblée nationale et du gouvernement ont été actées. Une transition politique dans une situation complexe caractérisée par le délitement de l’Etat,  une corruption endémique, l’insécurité et des défis énormes de construction de la paix et de consolidation démocratique pose des questions importantes et mérite des prospectives prudentes d’où l’objet de la présente contribution.

La transition politique: une opportunité pour des réformes démocratiques consolidantes

Idéalement, une transition politique doit être courte avec un agenda clair et précis. Essentiellement, il s’agit, de préparer un environnement favorable pour la tenue de compétition électorale afin de permettre l’érection d’institutions légitimes. Ce postulat, qui constitue le critère fondamental d’une transition politique, se justifie dans la mesure où il est conforme aux principes démocratiques. De même, il permet de circonscrire les ambitions des leaders de la transition et limite les risques de confiscation du pouvoir et les dérives démocratiques. En outre, plus vite on retourne dans un ordre constitutionnel mieux on réintègre le concert des nations et le pays se donne toutes les chances de soutien à son processus démocratique en renforçant les perspectives de développement.

Cependant dans la situation du Mali, il serait important de saisir l’opportunité et d’envisager la transition politique sous l’angle de la consolidation démocratique en focalisant sur les réformes qui corrigent les insuffisances de la pratique institutionnelle afin d’initier de nouvelles règles du jeu politique et de nouvelles configurations stratégiques en fonction des défis du pays. Théoriquement ce mandat peut paraitre anachronique pour une transition politique compte tenu de ce qui a été évoqué ci-dessus mais la pratique institutionnelle nous enseigne que la transition représente une « opportunité » pour réussir des réformes démocratiques qui seraient difficiles de réaliser avec des institutions légitimement établies soit à cause des contingences politiques soit à cause des clivages politiques.

La période d’une transition politique a l’avantage d’annihiler l’hégémonie d’une majorité et les crocs-en-jambe d’une opposition et favorise l’érection d’un exécutif impartial et neutre. En effet, durant la transition politique, les rapports de forces sont relativement plus équilibrés par le fait qu’aucun acteur ne détient de manière absolu un levier du pouvoir pour influencer le processus politique. Ceci permet d’instaurer un climat de confiance et évite les suspicions et les confrontations politiques. C’est de manière consensuelle que l’agenda politique (feuille de route) est défini par les différents acteurs dans un contexte relativement apaisé avec un fort potentiel de confiance pour définir un projet politique national. Il en fut ainsi au Mali en 1992, après la prouesse du Bénin en février 1990, avec la conférence nationale dont les résolutions ont permis d’adopter une constitution et des textes importants dans un délai raisonnable (13 mois). Certes, les contextes ne sont pas les mêmes mais ce qui est similaire dans les deux cas et qui caractérisent l’élaboration d’un projet politique national durant les transitions politiques est la prévalence de la lutte des idées au détriment des luttes de pouvoir. Les ambitions politiques collaborent avec une forte ambition de tirer des leçons et de circonscrire les effets des erreurs du passé par l’initiation de propositions consensuelles sans l’exigence d’un référent politique subjectif en la personne d’un chef d’Etat. Ce postulat est très important car un Président de la république, Monarque républicain (Maurice Duverger), influence de manière subjective en général les processus de réformes démocratiques. Les réformes politiques initiées et effectuées durant une transition, à la différence d’une période de légitimités établies, ne sont pas basées sur des calculs de dividendes politiques de réélection ou de perte d’électorat. Elles s’analysent comme le fruit d’un nouveau contrat social entre les citoyens, sans considération partisane, afin d’apporter des correctifs ou des changements importants à la gouvernance.

Le cas du Burkina Faso: une expérience inspirante

La réussite d’une transition implique une démarche progressive, inclusive et ouverte avec un niveau de confiance élevé entre les différents acteurs sur l’ensemble du processus. Dans ce sens, la dynamique de consultations entamées par les membres du CNSP (Conseil National pour le Salut du  Peuple) ouvre de bonnes perspectives pour la construction de la confiance.

Dans la situation actuelle du Mali la constitution reste en vigueur et dès lors, une transition politique doit se donner un cadre légal de fonctionnement afin de réussir sa mission. A cet effet, l’expérience du Burkina Faso (2014) est riche d’enseignement et peut servir de source d’inspiration pour le Mali. Le Burkina Faso a initié une charte de la transition pour compléter la constitution qui est restée en vigueur. Cette charte a défini les organes de la transition à savoir le Conseil National de la transition (corps législatif) avec des attributions d’une Assemblée nationale sauf que ces membres ont été désignés par les différentes catégories socio-professionnelles suivant un nombre déterminé par la charte; un gouvernement et un président de la transition désigné par un collège. L’expérience de  la transition politique de 1992 et celle du Burkina de 2014 peuvent aider les acteurs maliens à initier un cadre dynamique et lui donner un contenu consensuel pour réussir la transition politique.

Cependant, les défis auxquels le Mali est confronté et la trajectoire politique qu’il a subi ces dernières années doivent forcer les acteurs de la transition politique à une ingéniosité pour ce qui concerne la définition de sa temporalité et l’agenda de celle-ci. Les deux sont liés, une transition par définition est courte et il est donc important de s’interroger sur la nature et la taille des réformes à initier compte tenu du fait que les élections doivent être organisées pendant le même temps. A titre de comparaison, durant la transition, le Burkina a pu réussir la prouesse de voter au total 110 lois dont 106 en projets (sur 118) et 4 en propositions (sur 7) mais n’a pas pu réussir à voter le projet de lois constitutionnelles compte tenu du temps et d’autres impératifs politiques. Cette proposition de constitution reste pendante aujourd’hui encore et subit l’objet du jeu démocratique entre les impératifs de la majorité et de l’opposition.

Des écueils à éviter pour les réformes:

1- Qui trop embrasse mal étreint! L’énormité des défis pour le Mali est telle que l’agenda politique de la transition (feuille de route) ne doit pas avoir comme ambition de régler tous les problèmes du pays. Le risque serait de diluer les réformes majeures dans une panoplie de réformes à valeur négative en rapport avec le contexte. Il serait crucial de faire le bon diagnostic et d’évaluer le rapport coût-impact en tenant compte du contexte et des acteurs.

2- Organiser des élections sous l’actuel format représente la voie royale pour la restauration politique et le maintien des dynamiques négativement évolutives des paradigmes électoraux que le Mali subit depuis 1996. La transition représente une formidable opportunité pour l’initiation et la mise en oeuvre de l’organe unique et indépendante de gestion des élections qui, par ailleurs, fait l’objet d’un consensus politique depuis 2007. 

3- Le processus décisionnel: conformément à l’esprit d’une transition où l’inclusion et la participation doivent être de rigueur, il est souhaitable d’avoir un processus décisionnel qui privilégie le consensus.

4- Le noyautage des réformes: il est de coutume que les acteurs majeurs de la transition ne soient  pas des candidats aux élections qu’elle organise. Pour autant une proposition de réforme jugée pertinente peut être reléguée au second plan par le truchement des acteurs politiques ou leurs représentants à cause des considérations stratégiques et politiques, comme en matière de justice, de lutte contre la corruption ou d’élections.

5- Report de réformes majeures: les réformes sont naturellement teintées des considérations politiques qui ne sont pas toujours en harmonie avec les besoins des populations. La transition offre l’opportunité de privilégier ces besoins en atténuant l’impact du jeu de clivage politique d’où l’intérêt de réaliser des réformes décisives (Exemple: proposition d’instituer une structure unique et indépendante d’organisation des élections).

L’enjeu majeur de la prochaine transition au Mali, à notre sens, est de créer les conditions de rupture d’avec la gouvernance politique actuelle afin de réussir des réformes capables de soutenir une nouvelle dynamique politique transformatrice de la société malienne conformément à la volonté exprimée par ces derniers durant les manifestations des mois de juin et juillet 2020. 

Dr Moumouni SOUMANO                                                                                                            Enseignant-chercheur

Faculté des Sciences Administratives et Politiques (FASP)                                                                                                                    Université de Bamako                                                                                            Directeur exécutif CMDID

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